La question des
liens entre l'art et la mobilisation sociale face au sida peut être posée
de différentes manières. Par exemple, en examinant le 'contenu' de la
production artistique sur le sida qui, plus que pour toute autre maladie,
abonde depuis l'apparition de l'épidémie (au début des années 80). Ou
encore en traçant la cartographie des engagements qui ont fait se porter
vers la cause du sida certains artistes populaires, dans le domaine de la
musique en particulier ; en France par exemple, certains choisissent de participer
à des disques ou des concerts de soutien à Sol En Si (association de prise
en charge des enfants malades), tandis que d'autres reversent plutôt la
recettes de leurs prestations scéniques à Act Up-Paris.
J'examinerai
ici plus particulièrement les liens qui existent entre création artistique
et activisme contre le sida (par activisme je désigne l'action
contestataire et 'politique' du groupe Act Up), à partir de l'exemple des États-Unis
et de la France. Car en effet, l'activisme contre le sida est, dès sa
naissance, profondément associé à l'expression artistique. La création du
premier groupe Act Up, à New York en 1987, est impulsée par un auteur
dramatique, Larry Kramer, dont les ½uvres relatives au sida ou à
l'homosexualité ont déjà été remarquées. Ensuite, l'image d'Act Up est tout
d'abord fortement marquée par le travail d'artistes graphiques dont elle
reprend certaines créations (Gran Fury), et en particulier l'affiche qui la
symbolisera désormais, où le slogan SILENCE=MORT figure sous un triangle rose.
C'est que certaines représentations artistiques contenaient en substance
les futurs revendications activistes.
L'enjeu des luttes ou des alliances entre mouvements activistes de
lutte contre le sida et productions artistiques concerne les représentations
publiques jugées souhaitables (qu'elles soient artistiques ou militantes) à
la fois de l'épidémie et des groupes sociaux les plus atteints, dont les
homosexuels masculins. J'examinerai tout d'abord le travail d'étroite
collaboration mené par certains artistes avec les activistes, et à travers
lui les significations qu'ils entendent donner à l'épidémie, en
m'intéressant plus particulièrement à l'exemple américain. Je m'arrêterai
ensuite sur les enjeux qui conditionnent les représentations concurrentes que
livrent en France l'association Act Up-Paris d'une part, et certains écrivains
d'autre part, au sujet de l'épidémie mais aussi des homosexuels. Ce sera
l'occasion de souligner que les 'stratégies de représentation' visent aussi
parfois à asseoir l'autorité et la légitimité des acteurs dans tel champ ou
tel espace social.
|
Christophe Broqua est docteur de l'EHESS en
anthropologie sociale. Il est chercheur associé au Centre d'Ethnologie
Française - MNATP et à l'UR 107 de l'IRD. Depuis une dizaine d'années, il
consacre ses travaux aux mobilisations collectives face au sida. Il
travaille actuellement sur l'homosexualité et le sida au Mali.
Il a notamment co-écrit :
"Trajectoires d'engagement : AIDES et Act Up" (Textuel, 2001)
avec Olivier Filleule, participé à l'ouvrage collectif
"Une épidémie politique : la lutte contre le sida en France,
1981-1996" (PUF, 2002) sous la direction de Patrice Pinell,
et co-dirigé l'ouvrage collectif :
"Homosexualités au temps du sida : tensions sociales et
identitaires" (ANRS, 2003).
|